samedi 19 avril 2008

Joël de Rosnay, Second Life et les mondes virtuels


Est-ce l'avatar de Joël de Rosnay? Dieu seul le sait...


J'ai beaucoup d'estime pour Joël de Rosnay. C'est quelqu'un d'intelligent et de sérieux, dont l'avis m'a toujours intéressé.

Je suis tombé sur une petite interview de lui réalisée par "mémoire vive.TV" où il nous donne une idée de ce que pourrait être l'avenir du web. C'est ce qu'il appelle le Web.04. C'est brillant et bien vu.

A la fin de l'interview il est questionné sur Second Life. Et là, à mon grand étonnement, cet esprit brillant, qui connait internet comme sa poche, se met à dire des choses assez floues et caricaturales sur les mondes virtuels. En gros, Joël de Rosnay nous met en garde contre « le risque de confusion entre le réel et le virtuel ». Puis il nous parle de l'illusion que ces mondes peuvent susciter chez les jeunes. "L'illusion d'un temps réversible, qui nous incite à ne pas nous engager, contrairement à la vie réelle, qui elle, est irréversible et engage."

En l'écoutant j'ai vraiment eu le sentiment que cet expert du web ne connaissait pas Second Life.

Cela m'a interrogé.


S'il connaissait bien Second Life, il nous aurait sans doute parlé des possibilités inédites d'enseignement, des cours à l’ université, (15% de l’espace de Second Life est occupé par des universités en ligne, payantes et privées ) de la possibilité pour les handicapés de retrouver "un corps" et d'y mener une vie "réparatrice", des programmes humanitaires et écologiques qui fleurissent, de la possibilité de pratiquer une langue étrangère avec des autochtones sans se déplacer de chez soi, des vocations artistiques que suscitent ces mondes...
Mais non. Il nous parle essentiellement des dangers du virtuel.



Pourquoi même des esprits brillants, cultivés, ne parviennent-ils pas à appréhender les mondes virtuels à leur juste valeur et les réduisent quasi systématiquement à leurs soi-disant "dangers"?

J'ai une hypothèse. Simple. Pour comprendre la richesse des mondes virtuels dans leur réalité la plus intime, il faut les fréquenter. S'y investir. Et subir le choc ou les chocs que la plupart des avatars ont ressenti en fréquentant ces mondes. Des chocs de sens. Des bouleversements intérieurs. Une remise en question de leur façon d'envisager le monde.

A défaut de s'y être frotté vraiment, il est nécessaire de les avoir étudiés longuement pour avoir une chance de comprendre ce qu'ils sont et ce qu'ils ne sont pas. Certains auteurs comme Philippe Quéau, Edward Castranova ou Pierre Lévy ont apporté des pierres à cette compréhension.

Sinon, l'on reste dans une sorte d'ignorance. Une ignorance qui est partagée par de nombreuses personnes, des journalistes, des décideurs, des hommes politique, des philosophes, ce qu'on pourrait appeler "l'élite", qui par ailleurs peut être tout à fait brillante sur d'autres sujets.
Cela m'a fait penser à "l'ignorance de Monsieur Toulemonde."

Monsieur Toulemonde peut aussi être Madame Toulemonde


Au départ, Monsieur Toulemonde" (qui peut être aussi un esprit brillant) a des préjugés sur les mondes virtuels. Cela est normal. Ces mondes sont en train de naître. On ne sait pas ce qu'ils vont impliquer pour l’être humain. C’est l’inconnu. Et comme le dit Joël de Rosnay dans l’interview, ce qui est nouveau fait peur.

Monsieur Toulemonde peut se sentir inquiet à l'idée que de tels mondes puissent exister. (D'ailleurs je trouve que l'expression du visage de Joël de Rosnay au moment où il en parle dans la vidéo laisse paraître une sorte d'inquiétude).

Monsieur Toulemonde est censé. Il n'a pas envie d'un monde où l'on ne communique plus, où l'on s'enferme, où l'on rejette les autres. Qui aurait envie d’un monde pareil ?

Il peut avoir une image péjorative de ces mondes : ce sont des mondes "artificiels", "froids", "inhumains" et "dangereux" ou encore des mondes où « l'on peut confondre la réalité et le virtuel ». Il pense que ces mondes nous poussent non pas vers la réalité mais l'illusion.

De plus, Monsieur Toulemonde a été élevé avec l'idée que seul compte le monde tangible. Il n'a connu que cela. (Entre nous, Monsieur Toulemonde se trompe. Il a toujours vécu dans un monde tangible certes, mais pas uniquement. Le monde de la pensée, de l'art, des idées, dans lequel nous vivons aussi n'est pas un monde "tangible".)

En fait Monsieur Toulemonde, par une sorte de réflexe de peur, revendique la supériorité inaliénable du monde tangible lorsqu'il se sent menacé par l'apparition d'un monde concurrent. C'est un réflexe humain. C’est un réflexe d’auto-défense, de survie peut-être.


(Soit dit en passant, Monsieur Toulemonde rate quelque chose, on ne compte plus les belles filles sur Second Life.)

Monsieur Toulemonde trouve bizarre et même maladif que des gens se détournent de leur vie réelle pour construire une vie virtuelle.
Pour lui un monde virtuel est le résultat d'une civilisation malade, aliénée, perdue, un symptôme révélateur du malaise de notre société.



J'étais moi aussi, ce Monsieur Toulemonde. ( A peu de chose près)
Second Life, avant que j’y aille, m'a fait peur. Il n' était pas évident de passer de l'autre côté du miroir. Mais un jour j'ai fait un plongeon, avec peur certes, mais j'ai osé plonger.


J 'ai été supris par ce que j'ai vécu. Je ne m'attendais pas à ce que progressivement mes préjugés tombent un à un.

D’abord, au bout d'un moment, à mon grand étonnement, j'ai commencé à sentir les effets bénéfiques que la fréquentation de ce monde non tangible avait sur ma vie tangible.
J’ai découvert que j’étais un autre tout en restant moi-même.



J'ai eu des idées, des sensations, des émotions nouvelles. J’ai même par moment commencé à me sentir "meilleur. " A être plus créatif.
Cela n'a rien de magique ou de bizarre.
Les mondes virtuels permettent de se découvrir soi tel qu'on ne s'était jamais vu.

Il est vrai que Joël de Rosnay évoque lui aussi " une meilleure connaissance de soi" comme conséquence des mondes virtuels. Seulement il oppose cet aspect "positif" de SL à "un énorme défaut: l'illusion dans lequel nous plonge le monde virtuel."

Il y a là, à mon avis une contradiction. C'est justement cette connaissance de soi qui permet d'être moins dans l'illusion, de savoir ce qui est essentiel à nos vies et de nous engager avec plus de force et de sagesse dans l'aventure de la Vie. On pourrait même dire "dans les vies tangibles et non tangibles". Dans toute sorte de vie.



Car là est bien le secret que connaissent les avatars pour l'avoir vécu: Second Life, est un univers dans lequel on mène une vie, avec tout ce qui va avec. Engagement ou désengagement, illusions et désillusions, travail et loisir, amour et souffrance.



Et cette vie ne nous détourne pas de la vie réelle. La socialisation que créent ces mondes ne m’a pas enlevé le plaisir que j'ai à être physiquement avec les autres. Au contraire. Je peux mesurer aujourd'hui avec plus d’acuité la richesse du contact humain, l’irremplaçable présence humaine. Je ne suis pas le seul.

Par ailleurs, la vie virtuelle créé un autre mode de communication avec les autres. Une autre saveur relationnelle. Elle nous met en contact avec le reste du monde, "physiquement". Pouvoir agir, bouger, parler, marcher, danser simultanément à d'autres à l'autre bout du monde, même à travers un avatar, nous rapproche des autres peuples, inévitablement.



Les idées que l'on a sur SL ne sont que la conséquence de différentes peurs.

1) Peur du bouleversement que représente l'apparition des mondes virtuels dans sa vie.
2) Peur de se découvrir soi-même.
3) Peur d'être déstabilisé et troublé par les questions nouvelles qui affleuraient à l'esprit.

Ce sont ces peurs qui étaient à l'origine des préjugés de Monsieur Toulemonde.
Elles sont humaines, mais il est important de les dépasser. Elles ne mènent pas très loin. Mais surtout elles génèrent des idées fausses et empêchent un véritable débat sur les mondes virtuels et sur leur dangers réels.



Ces dangers quels sont-ils réellement?

Ils viennent pour moi du simple fait que Second Life soit un vie. Or toute vie est initiatique. Toute vie est un apprentissage. C'est un terrain sur lequel nous grandissons, bâtissons, avec les risques et les dangers inhérents à « ce » terrain. Il n'est pas nécessairement glissant. Il oblige tout être humain-avatar qui le pratique à y développer une philosophie, un art de vivre, une éthique personnelle pour y vivre le mieux possible.

Par ailleurs, "cette vie" charrie avec elle son lot de questions métaphysiques, ou "méta-virtuelles". Elle nous fait toucher du doigt des questions fondamentales, auxquelles il est difficile aujourd’hui de répondre, des questions sur le rapport entre le corps et l'esprit, des questions sur la nature du réel, sur l'identité de l'être, sur la mort, la sexualité, le Divin.

Le danger vient plus de l'incertitude qu'il y a à vivre cette vie complexe que de la prétendue confusion entre le réel et le virtuel.



Fréquenter un monde virtuel est un vrai investissement. Il faut du temps et de la pratique pour en saisir la substantifique moëlle.( Sachant qu'elle nous échappera à jamais). Il faut aussi de la disponibilité d'esprit, et un désir de découverte toujours renouvelé.
J'espère que de plus en plus d'esprits brillants qui s'intéressent à l'avenir de l'humanité auront un jour la curiosité de connaître la réalité des mondes virtuels dans toute leurs nuances, dans leurs dangers véritables comme dans leur capacité particulière à faire avancer l'homme vers sa propre connaissance.



Joël? C'est vous?


Pour ceux qui veulent voir l'interview.


Site de Jöel de Rosnay

Une petite vidéo de Joël De Rosnay sur le site de Daneel Ariantho où il reprend les thèmes du web.04


Consultez les derniers messages...

8 commentaires:

Ange Zanetti a dit…

Effectivement vouloir parler du futur du web sans connaître les mondes virtuels me paraît aberrant ! Il confond clairement jeux vidéos classique & MMO, dans un jeu en ligne persistant pas de bouton replay le temps est linéaire comme dans la vie "réelle".
Ce fameux discours sur le danger des jeux vidéos est vieux de 10 ans au moins et m'attriste toujours autant...
Bref, la vidéo est vieille de 10 mois espérons qu'il se soit penché un peu plus sur les mondes virtuels. Cela prouve en tout cas qu'il reste beaucoup a faire en terme de vulgarisation & d'accessibilité.

Myster Welles a dit…

Bonjour Ange,
excuse-moi pour cette réponse tardive. L'impression que j'ai c'est que pour le moment, pour se pencher sur les mondes virtuels, il faut être volontariste. Ils ne viennent pas à nous "naturellement". Il faut que nous allions vers eux.
Cela changera peut-être. En attendant, il faut un peu "prêcher" dans le vide , jusqu'au moment où ceux qui ont le pouvoir prendront conscience des possibilités infinies de création qu'ils recèlent.
Soyons patients!

Anonyme a dit…

Extrait d'un article intéressant trouvé là :
http://www.telerama.fr/techno/dependance-aux-ecrans-qui-va-payer-l-addiction,31352.php
Amitiés
Jef

« Les écrans sont en train de révolutionner
notre façon de réfléchir, notre psychisme. »

A votre décharge, pouviez-vous devenir autre chose qu'un accro des écrans ? En France, on compte 31 mil­lions de télés, 55 millions de mobiles, 30 millions d'ordinateurs. Sans parler des consoles, webcams, GPS, ­Caméscope, appareils photo numériques... Dix écrans rayonnent en moyenne dans chaque foyer, dit la Sofres. Combien dehors ? Au Japon, on peut déjà lire son journal ou un roman sur un écran tactile. Bientôt, les écrans diodes (Oled) transformeront n'importe quelle vitre en écran. De quoi rendre la planète parallé­lépipédique.
Car, au fond, cette cyberdépendance, n'est-elle pas simplement une nouvelle norme de notre société ? Moins une addiction qu'un nouveau mode de vie ? « Jamais l'homme n'a disposé d'autant d'écrans, non seulement pour regarder le monde, mais pour vivre sa propre vie », avancent le philosophe Gilles Lipovetsky et le professeur Jean Serroy dans leur livre L'Ecran global (3) : « L'écran est devenu un intermédiaire quasi obligé de notre rapport au monde et aux autres. Il est là comme le garant de la dimension ­médiatisée de la réalité. » Dans son bureau de Marmottan, Marc Valleur comparait l'impact des écrans à celui de l'imprimerie : « Pendant des siècles, un seul livre a ordonnancé le monde et, soudain, on a admis que tout le monde pouvait penser. Cela a changé le psychisme de la société et mené au siècle des Lumières. Les écrans sont en train de révolutionner eux aussi notre façon de réfléchir, notre psychisme. Personne ne sait ce qui nous attend. »
Lipovetsky et Serroy sont optimistes. Selon eux, l'écran nous libère davantage qu'il ne nous emprisonne : « Plus il y a d'outils de communication virtuelle, plus les individus cherchent à se rencontrer. » La dématérialisation des échanges s'accompagnerait même d'une quête hédoniste dans le monde réel : « Si une partie importante de la vie se passe devant les écrans, une autre non moins importante investit la dimension contraire, chargée d'attentes et de plaisirs sensoriels. » Cette part de l'existence passée loin des écrans, ce temps consacré au plaisir concret, celui d'une glace à la vanille ou d'un chouchou sucré, ce morceau de vie qui équilibre les plateaux sur la balance du bonheur, bon sang, mais c'est bien sûr, c'est aussi celui de l'été. Alors, si ça « bip-bipe », restez calme, mesurez l'importance d'un texto à l'échelle de l'océan, et allez donc vous baigner en rentrant le ventre.
(Nicolas Delesalle, Télérama n° 3052)

Myster Welles a dit…

Merci Jeff pour cet article. Très intéressant. Oui, l'homme est assez intelligent pour hiérarchiser les plaisirs. Il "sait" qu'un contact réel n'a pas la même saveur qu'un contact virtuel.Et cela lui permet d'apprécier les deux. J'ai d'ailleurs tendance à penser que les gens qui aiment le virtuel pour ce qu'il est, comme moi, sont avant tout des gens qui aiment la vie...

Par ailleurs, j'ai remarqué que les "nouvelles générations" décryptent beaucoup mieux l'image et ont un esprit beaucoup plus critique, plus acéré que ceux qui n'avaient connu que le cinéma et la télévision.
Je pense aussi qu'une image raconte beaucoup de choses sur les gens. Souvent même à leur insu. Je me suis surpris à imaginer qu'à force d'apprendre à regarder les images, on pourra savoir au plus près qui est qui, qui ment et qui est sincère qui est sage et qui est pervers...
finalement à mieux connaître l'âme humaine...

Anonyme a dit…

je suis justement en train de finir un roman plutôt très réussi sur un monde virtuel proche de second life - c'est un roman initiatique où les personnages finissent par mieux se connaître en se dédoublant virtuellement. Mais aussi et surtout parce qu'ils détournent les règles du jeu !
hélène alias firebird
PS : ça s'appelle Paridaiza et c'est chez Plon

Myster Welles a dit…

Bonjour,
si votre roman est "plutôt très réussi", ce que je vous souhaite, peut-être qu'il apportera une pierre de plus à la compréhension des êtres...
Bon courage pour la fin!
Myster

Mariaka Nishi/Anne Astier a dit…

tout ce que tu décris minutieusement est tellement vrai, myster
et au terme de cette longue ballade tu finis par cette video que j'avais déjà vue, et sans comprendre vraiment ce qui me mettait mal à laise chez joêl de rosnay bien que je l'admire aussi
grâce à toi, remplie de ta promenade, j'ai revu cette vidéo et cela m'est apparu
j'aime comment tu parles, tu parles vrai, tu parles depuis la vie, tu parles aux coeurs, tu parles aux consciences, tu parles aux êtres de vie et de sang, même si ce sont des avatars, ta parole cet après midi dans second life, ce beau territoire où grandir vers d'autres lieux de nous mêmes, était du nectar, je ne te connaissais pas et en quelques heures tu étais comme un vieil ami retrouvé
je t'embrasse, et surtout, continue tes promenades consciensuelles

Myster Welles a dit…

Merci Mariaka!
(C'est devenu une sorte de rituel entre nous ces remerciements , non? :))

Tes mots me font du bien et m'encouragent à continuer...

Du fond du coeur, merci!!! :)